Hello ! Non, vous ne rêvez pas : Dalamne fait son grand retour parmi nous et il a aussitôt pensé à moi en m’envoyant une histoire qui, je le pense, vous plaira autant qu’à moi ! Mais chuuut, je me tais pour vous laisser lire en paix.
Bonjour ! Une fois n’est pas coutume, je laisse aujourd’hui ma tendre et fidèle Tamise nous faire le récit de sa dernière aventure, accompagnée de ses petits, devenus grands pour l’occasion…
Nous, les vaches de la ferme de Dalamne, à Vacheland, sommes les meilleures amies du monde depuis toujours. Nous broutons mufle à mufle, ruminons croupe à croupe et meuglons du même ton à chaque visite de Dalamne, notre fermier. C’est un gentil, Dalamne : toujours une bonne parole, une gourmandise ou une caresse pour chacune d’entre nous.
Un jour, il s’arrêta devant la barrière, se gratta le sourcil gauche puis l’oreille droite, souleva son béret et haussa les épaules. On aurait dit que sa tête fumait comme une cocotte pleine d’eau bouillante :
- C’est décidé, annonça-t-il, je conduis Mouchette au Salon.
Nous avons relevé la tête d’un seul mouvement :
- Mouchette au salon ? Pourquoi pas Cornette, Frisette ou moi, Tamise ? Et puis, que faire au salon ?
Nous avons regardé la maison de Dalamne avec des yeux plus grands qu’au passage des trains. Pensez donc ! Nous n’avons pas le droit de grignoter une fleur de la bordure. De là à grimper au salon, il n’y a pas un fossé… C’est carrément une mare !
- Ma parole, s’étonna Cornette, une mouche a piqué Dalamne. Il est devenu fou !
- Une Mouchette alors, ricana Blanchette.
- Très drôle, dit celle-ci. Seriez-vous jalouses ?
- Pourquoi t’a-t-il choisie ?
- Je suis sa préférée, la reine de l’étable.
Mouchette se pavanait, balançant la tête puis la queue avec insolence.
-Tu n’es pas la plus belle ! cria Frisette.
- Regardez-vous, reprit Mouchette : Cornette a une corne de travers, Tamise des taches sur le pis, Blanchette, le poil terne, Mauviette est trop petite, Gambette, trop maigre et toi, ma pauvre Frisette, tu frises de partout ! Vous avez toutes des défauts !
- Toi, ton pis est trop gros !
- Mais moi, je donne plus de 50 litres de lait par jour. Qui d’entre vous en est capable ? C’est un record, Dalamne me l’a dit…
Nous lui avons tourné le dos. Dalamne avait réussi à semer la zizanie parmi nous.
Un peu plus tard, Dalamne est venu chercher Mouchette. Elle nous a dit au revoir d’un ton ! Nous lui aurions bien mis un coup de pied. Oublier ainsi notre amitié !
Appuyées à la clôture, nous ne pensions même plus à manger et regardions Mouchette faire la chochotte dans la cour de la ferme. Dalamne l’a lavée, lustrée … Cela n’en finissait plus. À force, on en a eu assez de les observer. Nous sommes parties tout au bout du pré.
Dans la nuit, pfuitt ! Mouchette et Dalamne ont disparu de la cour. Ils devaient être montés au salon. Pourtant, il n’y avait ni bruit ni lumières dans la maison.
Pendant plusieurs jours, nous n’avons pas revu Mouchette, Dalamne non plus. C’est la vache-sitter qui est venue nous traire. Nous étions dans une colère noire contre Mouchette. Pendant que Dalamne la chouchoutait, la vache-sitter nous rudoyait, oubliait les friandises… un scandale !
Un soir, n’y tenant plus, nous avons défoncé la barrière, traversé la cour, escaladé le perron de la maison. Tout semblait fermé mais Cornette est parvenue à pousser la porte et nous sommes entrées au salon.
Que c’était mignon : le joli tapis beige, le papier à fleurs (qu’on aurait bien croquées) et les photos de vaches (nous, bien sûr !) accrochées au mur mais pas de Mouchette, pas de Dalamne. Quelle histoire ! Peut-être Dalamne avait-il menti et transporté Mouchette à l’abattoir ?
Blanchette se mit à pleurer :
- Nous ne la reverrons jamais. Dalamne l’a emmenée entre chien et loup, ce n’est pas clair !
- Elle nous a joué un tour de cochon, ajouta Mauviette, mais je l’aimais bien.
- Elle nous a rendues chèvres, coupa Cornette.
- Une vraie langue de vipère, insista Gambette.
Frisette secoua la tête :
- Ne soyez pas têtues comme des mules, vous deux. Si Mouchette ne revient pas, vous la regretterez.
J’ai meuglé un grand coup :
- A rester ici, je vais avoir une fièvre de cheval !
Soudain, un camion a freiné à grand bruit dans la cour. Nous nous sommes précipitées vers la porte. Le salon était si petit, cela a donné une pyramide de vaches, un enchevêtrement de cornes, de queues, de dos, un tas de taches noires et blanches.
Du camion est descendu Dalamne. Il a regardé vers le pré, vu la barrière à terre. Lentement, il s’est tourné vers la maison. Son cri est monté dans le crépuscule aussi haut que ses bras :
- Des vaches dans mon salon ? Ouste ! Dehors ! Il a fallu beaucoup de temps pour qu’il nous dégage, en tirant, poussant, tirant et poussant encore !
- Ouf ! Elles sont toutes sorties.
Le cri suivant nous a effrayées. Dalamne s’arrachait les cheveux en contemplant le salon dévasté : traces de sabots, coups de cornes, filets de bave et le joli tapis beige transformé en lit d’épinard !
- Ah la la ! a t-il soupiré. Heureusement que j’ai Mouchette.
Nous avions fait des bêtises. Bon ! Mais il n’allait quand même pas recommencer à nous diviser ! Nous lui avons montré la croupe d’un même élan, solidaires contre lui.
Puis, Dalamne a descendu Mouchette sous nos yeux écarquillés : qu’elle était belle avec son large ruban bleu-blanc-rouge autour du poitrail !
Mouchette avait de grands cernes sous les yeux. Nous l’avons entourée, cajolée. Émue, elle nous a demandé pardon de sa vilaine attitude puis n’est moquée de nous :
- Fofolles ! Vous vous êtes trompées de salon. Ce n’est pas dans celui de la maison qu’on peut obtenir le prix de la meilleure laitière de l’année, mais au Salon de l’Agriculture à Paris.
- Paris ! nous sommes-nous exclamées. Raconte !
- J’ai vu des vaches, de toutes les races, des moutons, cochons, chèvres, chevaux, ânes, lapins, poules, canards, chiens…
- Comme à la ferme alors. Pourquoi aller si loin ?
- Des lamas, des paons, et des autruches, des animaux d’ici et d’ailleurs. Et des gens, plein de gens, des gentils, des méchants…
- Tu dois être drôlement fière de ton 1er Prix.
- L’année prochaine, les filles, je vous laisserai mon tour, a dit Mouchette d’un air las.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas vu un brin d’herbe !
- Quelle horreur !
La ferme de Dalamne, à Vacheland a retrouvé la paix des vaches. Mouchette retient son lait pour ne pas repartir au Salon. Elle parle sans cesse de ce qu’elle a vu et entendu.
Moi, Tamise, je rêve en ruminant. Bientôt, je serai à mon tour la meilleure laitière de notre province. Je n’espère pas la gloire ni raconter autant d’histoires que Mouchette. Je voudrais seulement montrer aux enfants de la ville que le lait des vaches provient de nos pis roses comme des bonbons, Même s’ils ont quelques taches. C’est tellement important le lait !
Alors ? Je vous l’avais dit : Dalamne nous a fait un retour en beauté !! Nounouille en a pâli de jalousie, c’est vous dire… A bientôt.
Brijounette
|